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MEMENTO LE BLOG

LES OBJETS-SYMBOLES : le crâne humain

Dernière mise à jour : 8 déc. 2023


Vanités, tableau de P.Champaigne

Pourquoi le crâne humain a-t-il été de tout temps un élément important et imprégné de symboliques profondes ?


Le crâne est considéré comme un réceptacle d'une force exceptionnelle. Il porte une symbolique évidente, inhérente à l’être vivant, de transcendance. Il est l'image du mystère de la vie, de la conscience et de l’inconscient, tout en nous rappelant par sa forme dépouillée de toute chair et organe, que nous sommes mortels, que la vie est relative, courte et que notre chair est éphémère, périssable.


Le problème de la mort a été, au cours de l’Histoire, un sujet de préoccupation commun à toutes les sociétés humaines. Les croyances et la spiritualité autour de ce thème se sont élaborées progressivement depuis probablement plus d'un million d'années. Mais c'est principalement, il y a près de 100 000 ans, qu'apparaît le rite de la sépulture. Dans certains cas, des groupes de population néanderthalienne séparaient intentionnellement les crânes du reste du corps. Cette pratique laisse envisager un "culte des crânes", et dès le Néolithique on s'aperçoit de l'importance de la valeur spirituelle attribuée à la tête humaine.


Dans nos sociétés européennes, la place importante du crâne humain fut marquée dès l'Antiquité.


Les Celtes par exemple, étaient persuadés qu'après la mort d'un individu, la tête continuait à vivre. Pour exemple, à Roquepertus, l'entrée du sanctuaire était composée d’un mur d'enceinte, comprenant des loges où les crânes des morts étaient insérés de façon à éloigner le mal.

La forme du crâne plutôt arrondie n'est pas sans rappeler la voûte céleste, ce qui nous ramène à la légende du géant Ymir, dont le crâne, dans la mythologie nordique devient la voute céleste après sa mort. Dans la même veine, dans la mythologie védique (une religion amenée en Inde antique depuis les plateaux iraniens), la voûte céleste est formée du crâne de " Hara ", l'être primordial.


Dans la Rome antique, les phrases "memento mori" , "hominem te esse memento" (souviens-toi que tu n'es qu'un homme),et "Gnothi seauton" (connais-toi toi-même) étaient répandues, tout comme les représentations de crâne et de squelettes.

On peut également citer une légende proférant que « memento mori » était répétée par un esclave au général Romain triomphant après une bataille. Debout derrière le général victorieux, un serviteur devait lui rappeler que, malgré son succès d'aujourd'hui, le lendemain était un autre jour. Même s’il est plus probable que le serviteur disait "Respice post te! Hominem te esse memento!" ("Regarde autour de toi et souviens-toi que tu n'es qu'un homme!") on comprend bien le thème commun à toutes ces citations et représentations.

Après l'avènement de la Chrétienté, l'image de la mort s'estompe durant un temps, pour réapparaître sous une allégorie sévère d’avertissement néfaste avec le fameux « Memento mori, souviens toi que tu vas mourir ! », pour que les pécheurs ne viennent pas à oublier leur destin.

Dans cette même veine « Souviens-toi, Homme, que tu es poussière et que tu redeviendras poussière » martèlera le même message.


Les représentations de la Mort sous forme d'un squelette galopant à cheval au milieu des batailles ou récoltant les vies à grands coups de faux se multiplient. On peut aussi penser à cette scène qui représente des jeunes gens croisant leurs propres cadavres : manifestation de la volonté de créer un questionnement auprès des chrétien.ne.s quant à leur avenir.


Lors du Moyen Âge, la terreur ne fonctionnant pas, on voit se multiplier de courtes pièces comiques représentant toutes les catégories de la population en grande conversation avec la Mort. Les murs des églises se couvrent alors de sculptures de cadavres virevoltants joyeusement, entraînant dans leurs folles danses les empereurs et les chevaliers, les moines et les paysannes : cela dans le but de provoquer un contrepied chez le visiteur contre la frivolité.


A cette période, on arborait des crânes en amulettes pour se protéger contre la mort. Ce thème ornait également, en modèle plus réduit, certains grains de chapelets ou de rosaires, objets de méditation et de spiritualité.


A la Renaissance vient l’avènement du courant philosophique et artistique des Vanités.


L’image symbolique ou physique du crâne humain évoquant les questions d'existence, de réflexion personnelle, de transcendance et de cycle de la vie s’ancre profondément.


Avec Hamlet, Shakespeare se servait du crâne et de sa symbolique via le célèbre "être ou ne pas être, telle est la question", l'acteur se questionnant, un crâne en main.

Cette "question" renvoyant à la réflexion autour de la vie et de la mort, tant sur l'existence humaine en général que sur sa condition qui se trouve prise dans un conflit de conscience terrible. Il y a une discussion personnelle du personnage autour de la manière dont on traite la vie comme la mort.


Mais le crâne a joué un rôle dans bien d’autres civilisations et religions :


Au sein du Bouddhisme, Yama (le dieu de la mort) est représenté avec cinq crânes autour de sa tête pour marquer sa victoire sur les cinq défauts : la haine, l'avarice, l'orgueil, l'envie et l'ignorance.


Dans l'Hindouisme, Kali déesse de la préservation et de la destruction porte un collier de crânes autour de son cou.

Chez les Bamiléké de l’ouest du Cameroun

Le parcours de la personne défunte vers le monde où vivent les générations précédentes la faisant cheminer jusqu’à Dieu, commence avec la mort et s’achève avec une résurrection symbolique lors de la cérémonie des crânes.

Lors de cette cérémonie la personne défunte revient prendre place parmi les vivants. Cette place se trouve dans la « case des crânes » ou « case des ancêtres », que chaque famille se doit de posséder, et dans laquelle sont présentés les crânes d’un ou plusieurs membres décédés de la famille qui sont « revenus ».

Cette case n’est pas un mausolée. Vivante et dynamique, elle est consacrée aux ancêtres qui y « vivent » puisqu’on peut les y consulter, les nourrir, les associer à tous les événements ou à toutes les décisions importantes de la famille. Le crâne, davantage que la case, est le symbole de la présence des ancêtres parmi les vivants. Les défunts qui « revivent » sont les intermédiaires de la famille auprès des ancêtres et auprès de Dieu.


Ce culte des Bamiléké est un héritage de leurs ancêtres de l’Égypte antique.

Les Bamiléké, fuyant la guerre, avaient dû, pour transporter facilement les restes de leurs proches/parents décédés, jusqu’alors momifiés et placés dans des sépultures, s’adapter, en ne conservant que les têtes et en enterrant le reste du corps.

Au cours de leur long périple d’Égypte jusqu’à la vallée du pays Tikar, ces têtes momifiées des aïeux étaient gardées dans des jarres et enterrées dans un coin de la maison pour attendre une éventuelle fuite, consécutive d'une guerre perdue ou d'une catastrophe majeure.


Au Mexique, "El dia de Muertos" soit le Jour des morts se tient tous les ans de fin octobre à début novembre pendant sept jours, là où les Chrétiens fête la Toussaint. Un élément important à noter puisque l’origine de cette fête vient d’un mélange entre les rituels religieux des natifs et les fêtes implantées par les colonisateurs chrétiens. Elle est issue de traditions "indigènes" déjà pratiquées aux temps des Incas, Aztèques et Mayas où le crâne était conservé comme un souvenir de la vie menée par le défunt, sorte d'emblème du souvenir.


Chacun de ces sept jours est consacré à un type de mort, à l'âge des défunts (comme les enfants), encore au statut social des défunts (comme les prisonniers).

Mais cette tradition, reconnue comme faisant parti du patrimoine mondial par l'Unesco depuis 2008, ne doit pas être confondue avec Halloween (tradition américaine issue de diverses commémorations mondiales autour des défunts, se tenant le 31 octobre de chaque année).

Elle est célébrée via des danses, des déguisements (en squelette ou en Catrina), des autels dressés chez les habitants et des veillées aux cimetières et dans les églises. Les participants jouent de la musique et font des offrandes aux défunts, notamment leurs plats préférés lors de leurs vies ou des plats typiques comme les calaveras en sucre ou le pan de muerto.


Les crânes mexicains "calaveras", présents partout, sont facilement repérables car ils possèdent des caractéristiques particulières par rapport aux représentations plus consensuelles que nous avons en général des crânes humains, comme des couleurs souvent vives, des fleurs, ou encore des sourires. En effet, cela participe à la représentation qu'ils ont lors de ces célébrations, à savoir le souvenir des défunts via la fête, la musique, les couleurs, des offrandes : en somme en célébrant les morts, on célèbre aussi la vie.

Dessin de représentation du crâne lors du Jour des morts mexicain

Au Japon, à partir du XVIIe mais surtout au XIXe siècle, des crânes miniatures en ivoire étaient prisés pour orner les "nécessaire" à médicaments, à fumer ou tout simplement les porte-monnaie ou « Inro », attaché à la ceinture du kimono. Durant les périodes Edo et Meiji, ces objets deviennent de véritables joyaux rehaussés d'or ou laqués, car ils étaient faits pour être vus lorsqu'ils se balançaient à la ceinture pendant la marche.


Enfin, faisons un bref retour en Europe afin de finir cet article sur d'autres usages, plus pratiques, faits du crâne.


Dans les pays anglo-saxons, au XVIIIe siècle les médecins se présentaient avec une canne au pommeau d'ivoire souvent sous forme de crâne, afin d'évoquer la mystification. Cette canne comprenait un compartiment appelé la « vinaigrette » ou le « pommader » qui contenait des substances pour se protéger des épidémies (fièvres, peste). Au XIXe siècle, elle permettait d'avoir sous la main une petite réserve de médicaments, de sels voire de dragées pour amadouer quelques enfants récalcitrants.

En dehors du cercle des médecins, certaines cannes faites par des artisans ingénieux comprenaient un mécanisme qui actionnait à chaque pas des yeux contenus dans les orbites. Une langue pouvait également sortir lorsque la mâchoire s'ouvrait.


En Allemagne et en Suisse, à partir du milieu du XVIe siècle, mais surtout au XVIIe siècle, le modèle du crâne a été utilisé en bijouterie pour servir de boîtiers de montres du type "Memento mori", en bronze doré, en argent ou en or, plus ou moins ouvragés, et parfois gravés de symboles religieux et du sablier afin de ne pas oublier la fuite du temps. Les couvercles s'articulaient soit au niveau de la mandibule, soit au niveau de la calotte crânienne.


Actuellement la "tête de mort" est connue de tous nos contemporains, surtout dans les civilisations urbaines, comme symbole de tous les dangers, elle inspire la prudence et suscite la peur.





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